Comme c’est ta première interview, je vais te demander de te présenter à ceux qui ne te connaîtraient pas encore !
Bonjour Jupsy et merci pour cette interview. Je suis E.R. Link, autrice de romans ancrés dans l’imaginaire, teintés d’aventure, de drames et de romance. Mon nom de plume vient de la fusion de mes vies réelle et virtuelle puisque c’est par Internet que j’ai commencé à publier mes histoires en 2006, sur des blogs. E.R sont les initiales de mes prénom et nom dans la vraie vie, Link est le surnom que mes lecteurs m’ont donné sur le Web.
Maintenant que les présentations sont faites, pourrais-tu nous expliquer d’où vient ton inspiration pour Strawberry Fields ?
Je ne saurais trop le dire de façon vraiment spécifique en fait. L’histoire s’est imposée à moi en 1995, avec deux autres très différentes : une que j’ai déjà écrite et publiée, les Compagnons de l’Arc-en-Ciel et une que j’écris actuellement.
L’inspiration peut être très mystérieuse. C’est comme si l’esprit avait longuement mûri en secret dans les limbes du cerveau pour d’un coup sortir trois briques et dire : voilà, ça, ça et ça, tu dois le raconter.
Toutefois, je vois Strawberry Fields comme la lente maturation de certaines de mes lectures de jeunesse et d’étudiante. Ce sont sûrement elles qui m’ont amenée à développer ce récit de façon inconsciente : Autant en emporte le vent, Oliver Twist, Hamlet, Alice au pays des Merveilles, Le Petit Prince, les hauts de Hurlevent, À l’ouest rien de nouveau, mais aussi des origines plus surprenantes comme Candy...
Pourquoi ancrer l’histoire d’Axelle et de Quentin dans la littérature de l’imaginaire, et non dans la littérature historique ?
Strawberry Fields a connu quatre versions avant de prendre sa forme actuelle. Au tout début, je voulais raconter l’histoire au XXe siècle, mais en avançant, je réalisais que cela ne cadrait pas avec l’ambiance, les situations. Je me suis naturellement retrouvée bloquée au bout de quelques chapitres, incapable à ce stade de comprendre encore d’où venait le souci.
Quelques années plus tard, j’ai tenté de reprendre dans une version historique. Si cette fois le décor, l’esprit du XIXe cadraient mieux avec mon récit, je me suis retrouvée bloquée de la même façon à la fin de la première époque, toujours sans parvenir à mettre le doigt sur l’origine du problème.
J’avais mon histoire, mes événements, mes personnages, je ne comprenais pas ce qui clochait. J’étais furieuse contre moi-même. Quelques années passent, je retente en historique. Re-blocage.
Puis, en parallèle, je me suis penchée sur l’écriture de nouvelles et j’ai découvert le steampunk. Là, ça a fait tilt ! Je n’arrivais pas à écrire, car j’étais trop enfermée dans un contexte historique réel, dépendant du lieu où se déroulait l’action, des événements de l’époque qui ne se produisaient pas forcément comme je le voulais, quand je le voulais.
Du coup, j’ai repris la rédaction en l’incluant dans un univers imaginaire, la Terre des Brumes, dont les accents steampunk m’ont permis de me libérer de la pression historique.
J’ai pioché tous les éléments du XIXe et début XXe siècles qui m’intéressaient : guerres napoléoniennes, guerre de 14/18, collèges de jeunes filles anglaises, les orphelinats religieux, les exactions des apaches de Paris, l’essor de la révolution industrielle, les tensions entre la France et l’Allemagne pour garder l’Alsace et la Lorraine, l’insouciance de la belle époque...
J’ai tout combiné à ma sauce, à travers mon propre contexte géopolitique, ma propre géographie, mes mœurs, ma religion et la magie a opéré. Tout s’est débloqué.
Je sais que tu es une autrice, qui se documente beaucoup pour ses romans. Sur ce roman, t’es-tu découvert une nouvelle passion ?
Je me découvre de nouvelles passions dès que j’écris un nouveau roman. La documentation, le souci du réalisme me passionnent. Où que je place l’action de mon livre, je cherche, je m’abreuve de récits, d’anecdotes. Je lis des auteurs de l’époque, des ouvrages historiques. Pour Strawberry Fields je me suis régalée avec l’argot et le langage des fleurs.
Le langage des fleurs est présent tout au long du roman, puisque la religion officielle de la Talégalle est entièrement basée dessus. Ce souci du détail me pousse à vous avouer que si vous croisez des chardons, des amandiers, des coquelicots, des saules ou des ancolies et non des buissons, des bosquets, des arbres ou des fleurs ce n’est jamais pour rien. Vous pouvez vous amuser à chercher leur signification et leur symbolisme et vous découvrirez que si la plante est nommée là, à ce moment-là c’est parce qu’elle représente : ou la situation que vous lisez, ou les sentiments d’un personnage présent dans la scène.
Pour l’argot, je m’amusais à chercher les mots les plus improbables dans une anthologie de 16 dictionnaires d’argot de 1827 à 1927, argoji, que vous pouvez trouver en libre accès sur le net. Certains termes désuets sont d’une truculence rare et un vrai bonheur à mettre dans la bouche des personnages. D’autres, que l’on emploie toujours aujourd’hui, n’avaient pas le même sens à l’époque, et c’est toujours très drôle de jouer avec la langue pour les recontextualiser dans leur état natif.
Un de tes personnages souffre de maladie mentale. Comment t’es-tu préparée pour traiter sa pathologie ?
Je me suis documentée sur la question. Kimberley souffre de schizophrénie à dominante catatonique avec sentiment de dépersonnalisation, à une époque où la schizophrénie n’était pas connue comme telle, mais simplement associée à la folie. Pour moi, il était hors de question de sombrer dans le cliché que l’on voit trop souvent sur le sujet : le dédoublement de personnalité.
Il y a bien un conflit de personnalité chez Kimberley, mais j’ai cherché à le rendre le plus proche possible de celui vécu par certains schizophrènes.
Pour cela j’ai bien sûr lu de nombreux témoignages de personnes souffrant de cette maladie. Les mots des malades décrivaient plus que des symptômes. Ils décrivaient leur manifestation physique et mentale. J’ai toujours à cœur d’immerger le lecteur dans le personnage et chercher à lui faire ressentir ce qu’il ressent.
J’ai également interrogé des médecins et des infirmières évoluant en hôpital psychiatrique (j’ai la chance d’avoir des amis dans le milieu médical). Leurs témoignages, leurs anecdotes, leur ressenti m’ont été très précieux dans la construction du personnage de Kimberley.
Quel personnage t’a donné le plus de fil à retordre lors de l’écriture ? Pour quelle raison ?
Kimberley a été pour moi très complexe à écrire. Parce que j’ai une peur viscérale de la « folie », comme Maupassant. Je craignais qu’en me plongeant dans son esprit pour mieux en faire ressentir tous les désordres à mon lecteur, je finisse par me perdre moi-même.
Sinon Charlaine a été également très compliquée à appréhender. J’ai découvert, lors de ma troisième tentative de rédaction, que c’était aussi un peu à cause d’elle que je bloquais. Elle me terrorisait. Cette fille joue à égalité avec les hommes dans un milieu d’une violence inouïe, à une époque où il était particulièrement difficile de se faire une place en tant que femme. Elle se situe même au-delà de l’égalité, elle domine les hommes, elle leur fait peur. La vie l’a abîmée physiquement et psychologiquement, pour en faire une sorte de monstre qui me collait des frissons dès que je devais écrire son nom. D’un côté, j’admire sa force de caractère, ce talent qu’elle a pour diriger avec une telle poigne des hommes dans un milieu aussi dur que les gangs de rues, mais d’un autre je ne peux pas lui pardonner sa froideur et son manque total d’empathie.
À l’inverse, quel personnage a été le plus facile à manier ?
Quentin. Il est le personnage le plus proche de moi. À travers lui, j’ai pu me livrer au lecteur, me mettre un peu à nu surtout pour décrire mon rapport à l’écriture. Il porte en lui le décalage que j’ai connu moi aussi étant enfant, époque où je n’avais que peu d’amis, car personne ne voulait jouer avec moi à cause de mon vocabulaire « compliqué » ou ma façon de transformer un simple jeu d’enfant en une aventure alambiquée.
Dans Strawberry Fields, le lecteur navigue entre lettres manuscrites et chapitres. À un moment donné, tu vas même jusqu’à lui proposer de résoudre des énigmes. Pourquoi ?
Je lui propose même de remplir le questionnaire à la fin du roman (raison pour laquelle je préfère conseiller la version papier à la version numérique) ! Pour l’impliquer directement dans l’action. Pour le mettre lui aussi dans la peau d’un personnage. Lui faire vivre physiquement l’aventure. Le sortir de son simple statut de lecteur, de spectateur passif et devenir un véritable personnage, le forcer à prendre part au récit en somme. Et ainsi lorsqu’il referme le livre, il a lui aussi posé sa pierre dans le Livre au trésor. Il ne lui reste plus qu’à le transmettre à son tour, afin de ne pas rompre la chaîne.
De nombreuses références sont présentes au sein de ton ouvrage. Shakespeare, Lewis Carroll ou Saint Exupery sont présents… mais est-ce que le sourire de Charlaine est un hommage au Joker ?
Le sourire de Charlaine est celui de Gwynplaine du roman l’Homme qui rit de Victor Hugo. Mais on pourrait dire que sa cruauté est proche de celle du Joker, en effet ! * rire *
Un dernier mot pour la route ?
Merci pour cette agréable interview, avec des questions pertinentes auxquelles j’ai pris un réel plaisir à répondre. Je souhaite une très longue vie à ton blog. Je sais que tu as pu recevoir des mots durs, mais je tiens à dire que j’apprécie ton honnêteté. Je sais que si un jour un de mes romans ne trouvait pas grâce à tes yeux, tu le dirais, même si nous avons à côté des relations cordiales et que nous rions bien sur d’autres sujets et c’est quelque chose de rare. Parce que cela rend les chroniques élogieuses que tu rédiges d’autant plus précieuses, d’autant plus sincères. Ne change pas. Même si le monde entier te tombe dessus. C’est toi qui es sur la bonne voie.
Pour aller plus loin :